Pour cette campagne le coût de l’unité d’azote va fortement varier selon les dates de commande. Le raisonnement économique pourra être assez différent pour les exploitations en fonction de leur prix moyen d’achat et du besoin ou non de réappro.
Cependant même pour ceux qui sont bien couverts et qui ont acheté dans les périodes les plus favorables, ce sera une matière qui aura pris de la valeur au moment de son utilisation et qui méritera d’être optimisée.
Afin de minimiser la dépense du poste azote et de valoriser au mieux les quantités utilisées tout en préservant la performance économique il est important de ne pas confondre les priorités et de faire les bons choix.
Modifier l’assolement au profit de cultures moins consommatrices en azote
Cette mesure semble être la première question à se poser… Les solutions ne sont cependant pas si simples à trouver :
- Le tournesol :
Le tournesol est la première culture qui vient à l’esprit mais pour une exploitation qui n’en a jamais produit cela peut s’avérer compliqué sur le plan de l’équipement (semoir, récolte), pour une exploitation qui en cultive déjà, augmenter la surface peut présenter des problèmes de fréquence de retour et de prise de risque en cas d’année médiocre.
- Les protéagineux :
Ils sont non consommateurs d’azote minéral pourraient apparaitre comme la solution miracle mais les déconvenues d’ordre climatique et parasitaire qui pèsent sur ces cultures invitent à la prudence (sécheresse, excès d’eau, bactériose sur pois d’hiver, bruches sur féveroles…). En dehors des pois, de la féverole et dans une moindre mesure du soja, les autres protéagineux sont des productions contractuelles ou des marchés de niche qui n’offrent pas de possibilités de report significatives.
- Les autres cultures économes en azote :
Telles que lin, chanvre, œillette … sont elles aussi produites sous contrats et n’offrent que des possibilités limitées de report.
Reporter des surfaces sur ces cultures et dans la limite de leur marché peut bien sûr contribuer à diminuer la charge en azote de l’exploitation mais ne constitue pas une solution à grande échelle.
Identifier les cultures présentant un potentiel d’économies d’azote
Le calcul des doses d’azote pour la plupart des grandes cultures repose sur la méthode du bilan prévisionnel. Dans cette méthode certains paramètres sont estimés, d’autres peuvent être mesurés et permettre une adaptation des doses aux conditions de l’année.
1. Le colza
Après des levées en bonnes conditions l’automne a été favorable au développement de la culture, l’humidité de surface a permis une minéralisation d’azote par le sol et les colzas sont aujourd’hui globalement bien développés avec des niveaux de biomasses confortables. L’azote mobilisé par le colza actuellement ne risque pas de perte par lessivage durant l’hiver et constitue pour la plante la première ressource d’azote pour son redémarrage en sortie d’hiver.
Mais cette réserve sera-t-elle pleinement disponible au redémarrage ?
Oui, si le feuillage ne subit pas de perte en sortie d’hiver, et l’évaluation de l’azote absorbé avant la reprise de végétation serait suffisante.
En revanche, si le gel réduit fortement le volume de feuillage en fin d’hiver, l’évaluation de cette quantité d’azote à travers la seule mesure de biomasse en février conduira à sous-estimer l’azote disponible. En effet l’azote présent dans la biomasse perdue est recyclé à 50 % par le colza au cours de son cycle de printemps, il est donc important dans ce type de scénario de disposer d’une évaluation avant hiver et tout particulièrement pour les gros colzas. A titre d’exemple une réduction de biomasse de 2 kg à 1 kg correspond à un stock de 26 unités d’azote/ha, recyclé à 50 % ce sont 13 unités valorisables et déductibles de la dose à apporter. La valeur de ce stock est à apprécier en fonction du prix d’achat de votre azote …
La méthode prévisionnelle de calcul de la dose est-elle fiable ?
Si la quantité d’azote absorbé par le colza me conduit à réduire fortement ma dose habituelle, est-ce que je ne m’expose pas à des pertes de rendement ?
Les essais menés par le passé ont conforté la méthode de calcul. Sur nos 6 essais azote conduits entre 2015 et 2019, la dose calculée en tenant compte de l’azote absorbé a permis dans chacun des essais d’atteindre le rendement maximum et dans 3 essais sur 6 l’optimum de rendement était déjà atteint avec 50 unités de moins que la dose calculée.
A titre d’exemple, le cas d’un colza très développé dans l’essai de Pogny (51) réalisé en 2018-19 en terre de craie avec apport de 30 unités d’azote organique en juillet, pour une biomasse de 1,5 à 2 kg en entrée hiver et 1,5 kg mesuré le 18-02, le calcul prévisionnel fixait la dose à 155 kg d’azote/ha.

BILAN PRÉVISIONNEL AZOTE - ESSAI DE POGNY
L’observation des rendements à différentes doses d’azote nous révèle finalement que la dose permettant le rendement optimum était 120 unités avec une production du témoin sans azote au printemps de … 38 q/ha.
Hormis la validation du calcul prévisionnel, ces résultats illustrent également le fait que la méthode comporte une certaine « marge de sécurité » qui rend le risque de sous-fertilisation quasiment nul.
Un bon nombre de colzas a atteint aujourd’hui une biomasse aérienne entre 1,5 et 2,5 kg/ha représentant entre 75 et 125 kg d’azote déjà mobilisé, si la perte de feuilles est minime d’ici la reprise de végétation c’est un stock d’azote qui sera valorisé et pourra conduire à des doses d’azote minéral inférieures à 150 unités (voir exemple ci-dessus).
Cette année sur des colzas bien développés ne prenez pas le risque de dépenser de l’azote inutilement, un raisonnement au plus juste de la dose peut aussi accroitre vos chances d’être éligible aux primes Bas GES.
2. Le Maïs
C’est une des cultures qui valorise le mieux l’azote fourni par le sol, que ce soit le reliquat sortie hiver par un enracinement profond si le sol le permet, ou la minéralisation des CIPAN et de la matière organique en été, pouvant aussi être accélérée dans les situations irriguées. Mais la faible sensibilité de la culture aux excès d’azote, qui bien souvent passent inaperçus ne suscite pas l’intérêt pour ajuster plus finement les doses lorsque les disponibilités en engrais azotés sont suffisantes.
La mesure des reliquats avant culture de maïs n’est pas suffisamment pratiquée. Même si la méthode du bilan met en jeu des paramètres d’une grande variabilité interannuelle comme la minéralisation du sol ou celle des apports organiques, très dépendantes du climat estival, le recours à la mesure du reliquat et le bilan prévisionnel permettent en toute sécurité de mieux approcher la dose optimale et de limiter les situations de sur fertilisation.
De surcroit les essais courbe de réponse à l’azote en maïs nous montrent souvent des optimums en deçà de la dose prévisionnelle calculée par la méthode du bilan… ce qui ne fait que conforter l’absence de risque de recourir à la mesure du reliquat.
3. Le Tournesol
Les doses habituelles sont de l’ordre de 50 à 80 unités, le tournesol est peu exigeant en azote et la fourniture naturelle du sol couvre une bonne partie de ses besoins.
En sols profonds la mesure du reliquat sortie hiver peut renseigner sur le stock disponible dans le sol et un reliquat élevé peut être une alerte en vue d’économiser de l’azote. Cependant la méthode du bilan est peu pertinente pour prévoir la dose. La méthode Hélio test basée sur l’observation de placettes témoin est une bonne solution pour optimiser la dose d’azote.*
4. La Betterave
La mesure des reliquats est largement pratiquée et le bilan prévisionnel qui a fait ses preuves sur cette culture permet de bien ajuster les doses.*
Les céréales à pailles, une grande sensibilité à la diminution de la dose
Avec la betterave, elles font partie des cultures sur lesquelles les doses d’azote sont les plus ajustées. Une synthèse de tous nos essais courbe de réponse azote avec mesure du reliquat sortie hiver sur blé depuis 20 ans nous montre que les doses prévisionnelles calculées à partir des reliquats mesurés permettent d’atteindre le rendement maximum dans 80 % des situations. Dans les 20 % de situations où le rendement maximum n’est pas obtenu, l’objectif de rendement est quand même atteint 1 fois sur 2 ce qui porte à 90 % des situations avec atteinte du rendement maxi ou réalisation de l’objectif fixé.
En escourgeon-orge d’hiver, le nombre d’essais est plus limité mais le taux de satisfaction est du même ordre. En orge de printemps sur 25 comparaisons les résultats sont également du même ordre.
On peut dire qu’avec des paramètres bien renseignés, le bilan prévisionnel en céréales est assez fiable.
Mais qu’en est-il lorsqu’on réduit la dose ?
Sur le même réseau d’essais blé, une réduction de la dose prévisionnelle de 40 unités se traduit en moyenne par une perte de 5 q/ha et de 0,8 point de protéines quelles que soient les situations (craie, sols profonds ou argilo-calcaires) et les potentiels de rendements (60 à 110 q/ha).


On voit donc que la dose totale est un facteur prépondérant sur la détermination du rendement et du taux de protéines. Le même exercice réalisé en orge d’hiver – escourgeon et orge de printemps conduit aux mêmes constats. Pour les céréales, contrairement à d’autres productions, l’alimentation azotée impacte directement et en premier lieu la qualité.
Si les quantités d’azote consommées devaient être restreintes, il est clair que réduire les doses sur céréales serait le levier à actionner en dernier.
Pertinence des bilans prévisionnels avec mesure du reliquat d’azote dans nos essais et pertes moyennes dans le cas d’une réduction de 40 u sur la dose d’azote prévisionnelle.
(1) pourcentage de situations où la dose prévisionnelle (X) permet d’atteindre le rendement optimum, entre parenthèses pourcentage de situations à l’optimum
+ situations où la dose X a quand même permis d’atteindre l’objectif de rendement fixé.
(2) perte de rendement moyenne avec une réduction de 40 unités sur la dose prévisionnelle
(3) perte moyenne en protéines avec une réduction de 40 unités sur la dose prévisionnelle

Nous reviendrons ultérieurement sur les moyens d’améliorer l’efficience de l’azote pour tirer le meilleur profit des unités épandues, mais quelques points nous semblent importants à prendre en compte dès maintenant :
Ne pas manquer la mesure de biomasse sur les colzas avant l’hiver et repenser le choix des reliquats qui seront réalisés en début d’année
Colza :
Si vous pratiquez des pesées manuelles en colza, les mesures de biomasses sont à réaliser dès maintenant. L’application Image IT de Yara est disponible également pour réaliser des doubles pesées.


Enfin vous pouvez opter pour la solution satellite qui ne nécessite pas d’intervention de votre part sur le terrain. Le satellite permet aussi de prendre en compte la parcelle dans son ensemble, avec 2 options : soit une mesure moyenne à la parcelle, soit une carte de modulation prenant en compte les variations de biomasse. Dans le cas où vous n’auriez pas prévu la double mesure entrée + sortie hiver au départ, il sera toujours possible en sortie hiver de récupérer les données entrée hiver pour les prendre en compte dans le calcul.

Reliquats :
Même s’il y a eu peu de mouvements de nitrates pour l’instant, rien ne permet encore de prévoir le niveau moyen des reliquats à la sortie de l’hiver, néanmoins dans un but d’économies raisonnées de l’azote au printemps on ne peut que conseiller dans les sols où c’est réalisable d’effectuer plus de mesures de reliquats et de les situer de préférence dans les parcelles où on peut s’attendre à en trouver le plus, fonds de vallée, sols riches en matière organiques, précédents favorables… sans oublier la mesure du 3ème horizon dans les sols profonds ou en craie. Les outils de pilotage sont aussi là pour corriger si besoin en fin de cycle et sécuriser la dose.
Les précédents protéagineux, luzerne, pomme de terre et les parcelles ayant reçu de l’organique récemment ou régulièrement sont bien sûr à privilégier. Les précédents de type légumes de pleins champs, souvent assez peu mesurés ne doivent pas être oubliés !!!
La majorité des reliquats sont faits avant blé, orge de printemps, betteraves et pomme de terre, ils peuvent être aussi très utiles avant maïs, escourgeons, lins.
Un reliquat ça coûte cher ?
1 reliquat qui ferait économiser 20 u d’azote sur 10 ha c’est une économie de 200 à 450 €
1 reliquat qui justifierait de maintenir sur 10 ha 20 u sur la dose (ou un outil de pilotage qui conseillerait 20 u supplémentaires) c’est 2 q/ha de blé x 10 = 2 tonnes soit 370 à 400 € qui couvrent facilement le coût de l’azote et assurent en plus une qualité protéique …
Une réduction généralisée des doses d’azote sur blés pourrait conduire à diminuer le taux de protéines global de la récolte …
La France exporte essentiellement des blés à 11 % minimum de protéines, voire 11,5 % suivant le cahier des charges des clients. Si nous produisons une importante proportion de blés faibles en protéines, cela pourrait détourner la clientèle française vers d’autres origines, notamment russe, et augmenterait l’écart de prix entre du blé « fourrager » et du blé de qualité, avec une décote pouvant aller jusque 15 à 20 €/tonne, voire davantage en fonction du volume produit.
N’oublions pas que c’est aussi la qualité de la récolte qui conditionne le marché …
Service Agronomie, Conseils, Innovation - Novembre 2021